Petite Poucelle - Ecole 2
Le dur et le doux
Comment ce changement humain, décisif, a-t-il pu se produire ? Pratiques, concrets, nous pensons irrésistiblement que les révolutions se font autour des choses dures : nous importent les outils, marteaux et faucilles. Nous donnons même leur nom à quelques ères de l'histoire : révolution industrielle récente, âges du bronze et du fer, pierre polie ou taillée. Plus ou moins aveugles et sourds, nous accordons moins d'attention aux signes, doux, qu'à ces machines tangibles, dures et pratiques.
Toutefois, l'invention de l'écriture et celle, plus tardive, de l'imprimerie bouleversèrent les cultures et les collectifs plus que les outils. Le dur montre son efficacité sur les choses du monde ; le doux montre la sienne sur les institutions des hommes. Les techniques conduisent ou supposent les sciences dures ; les technologies supposent et conduisent les sciences humaines, assemblées publiques, politique et société. Sans l'écriture, nous serions-nous réunis dans des villes, eussions-nous stipulé un droit, fondé un Etat, conçu le monothéisme et l'histoire, inventé les sciences exactes, institué la paideia... ? Aurions-nous assuré leur continuité ? Sans l'imprimerie, aurions-nous, à la Renaissance, bien nommée, changé l'ensemble de ces institutions et de ces assemblées ? Le doux organise et fédère ceux qui utilisent le dur.
Sans toujours nous en douter, nous vivons ensemble, aujourd'hui, comme enfants du livre et petits-fils de l'écriture.