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Comment ça va ? Bien !

Comment ça va ? Bien !
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5 septembre 2013

Petite Poucette - Société 1

ecolier

Eloge des notes réciproques

Petite Poucette notera-t-elle ses enseignants? Sotte, cette querelle fit naguère rage en France. De loin, je m'étonnai : voilà quarante ans que les étudiants me notent dans d'autres universités. Je ne m'en porte pas mal. Pourquoi ? Parce que, même dans loi, ceux qui assistent à un cours évaluent toujours le professeur. Il y avait beaucoup de monde dans l'amphi ; plus que trois ou quatre étudiants ce matin : sanction par le nombre. Ou par l'attention : écoute ou chahut. Cause de soi, l'éloquence prend sa source dans le silence de l'auditoire, lui-même né de l'éloquence.

Mieux, toujours tout le monde supporte une note : l'amoureux, de son amante silencieuse ; le fournisseur, aux grands cris de ses clients ; les médias, de l'Audimat ; le médecin, par l'afflux de ses patients ; l'élu, par la sanction des votants. Cela pose simplement la question du gouvernement.

La fièvre de notation qui, sous la poussée de mamans pitoyables et de la psychologie, quitta si vite l'école, envahit la société civile qui publie à l'envi les listes des meilleures ventes, distribue des prix Nobel, des Oscars, des coupes de faux métal, classe les universités, note banques et entreprises, même les Etats, autrefois souverains. En tournant la page, lecteur, vous m'évaluez en ce moment.

Une sorte de démon à double face pousse à juger ceci ou cela bon ou mauvais, innocent ou nocif. La lucidité discerne plutôt ce qui meurt de l'ancien monde et ce qui émerge du nouveau. Naît ce jour un renversement qui favorise une circulation symétrique entre les notants et les notés, les puissants et les sujets, une réciprocité. Tout le monde semblait croire, en effet, que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs ; qu'en amont l'offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout. Qu'il y a des grandes surfaces, de grandes bibliothèques, des grands patrons, ministres, hommes d'Etat... qui, présumant leur incompétence, répandent leur pluie bienfaisante sur les petites tailles. Peut-être cette ère a-t-elle eu lieu ; elle se termine sous nos yeux, au travail, à l'hôpital, en groupe, sur la place publique, partout.

Libérée des semi-conducteurs, je veux dire des relations ainsi asymétriques, la nouvelle circulation fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix.

 

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4 septembre 2013

KHAN ACADEMY

Un conseil : Allez voir la khan academy sur internet

L'américain Salman Khan a créé en 2006 une plateforme d'apprentissage en ligne qui propose chaque mois sur Youtube plus de 4500 leçons gratuites à 6 millions d'utilisateurs mensuels.

Objectif : Rendre accessible le savoir au plus grand nombre.

La Khan Academy est devenue un vrai phénomène aux Etats-Unis, au Brésil et au Mexique. Des cours de mathématique, physique, biologie ou économie d'environ dix minutes sont accessibles aussi bien aux enfants qu'aux adultes.

Disponible en français depuis aujourd'hui. Allez voir ici

Ca me parait la suite logique, imparable même, du livre de" Miche Serres  "Petite Poucette"

2 septembre 2013

Petite Poucette - Ecole 9

ecolier

Le concept abstrait

Et que penser des concepts, si difficiles parfois à former ? Dis-moi ce qu'il en est de la Beauté. Petite Poucette de répondre : Une belle femme, une belle cavale, une belle aurore... Arrête, voyons ; je te demande un concept, tu me cites mille exemples, tu n'en finiras jamais avec tes filles et tes pouliches !

Dès lors, l'idée abstraite revient à une économie grandiose de pensée : La Beauté tient dans la main mille et une belles, comme le cercle du géomètre comprend des myriades infinies de ronds. Nous n'aurions jamais pu écrire ni lire pages ni livres si nous eussions dû citer ces belles et ces ronds, en nombre énorme, sans terme. Mieux, je ne peux délimiter la page sans en appeler à cette idée qui bouche les fuites de cette énumération indéfinie. L'abstraction fait le bouchon.

En avons nous encore besoin ? Nos machines défilent si vite qu'elles peuvent compter indéfiniment le particulier, quelles savent s'arrêter à l'originalité. Si l'image de la lumière peut nous servir encore pour illustrer, si j'ose dire, la connaissance, nos ancêtres en avaient choisi la clarté, tandis que nous optons plutôt pour sa vitesse. Le moteur de recherche peut, parfois, remplacer l'abstraction.

Comme plus haut le sujet, l'objet de la cognition vient de changer. Nous n'avons pas un besoin obligatoire de concept. Parfois, pas toujours. Nous pouvons nous attarder aussi longtemps que nécessaire devant les récits, les exemples et les singularités, les choses elles-mêmes. Pratique et théorique, cette nouveauté redonne dignité aux savoirs de la description et de l'individuel. Du coup, le savoir offre sa dignité aux modalités du possible, du contingent, des singularités. Encore une fois, certaine hiérarchie s'effondre. Devenu expert en chaos, le mathématicien lui-même ne peut mépriser désormais les SVT qui, déjà, pratiquent le mélange à la Boucicaut, qui, déjà, doivent enseigner de façon intégrée, parce que, si l'on découpe la réalité vivante de manière analytique, elle meurt. Encore une fois, l'ordre des raisons, encore utile, certes, mais parfois obsolète, laisse place à une nouvelle raison, accueillante au concret singulier, naturellement labyrinthique... au récit.

L'architecte bouleverse les partitions du campus.

Espace de circulation, oralité diffuse, mouvements libres, fin des classes classifiées, distributions disparates, sérendipité de l'invention, vitesse de la lumière, nouveauté des sujets aussi bien que des objets, recherche d'une autre raison... : la diffusion du savoir ne peut plus avoir lieu dans aucun des campus du monde, eux-mêmes ordonnés, formatés page à page, rationnels à l'ancienne, imitant les camps de l'armée romaine. Voilà l'espace de pensée où habite, corps et âme, depuis ce matin, la jeunesse de Petite Poucette.

Saint Denis pacifie la légion.

1 septembre 2013

Petite Poucette - Ecole 8

 

ecolier

La tierce-instruction

Petite Poucette cherche et trouve le savoir dans sa machine. D'accès rarissime, ce savoir ne s'offrait naguère que morcelé, découpé, dépecé. Page après page, des classifications savantes distribuaient à chaque discipline sa part, sa section, ses locaux, ses labos, sa tanche de bibliothèque, ses crédits, ses porte-voix et leur corporatisme. Le savoir se divisait en sectes. Ainsi le réel en éclats volait-il.

Le fleuve, par exemple, disparaissait sous des cuvettes éparpillées de géographie, géologie, géophysique, hydrodynamique, cristallographie des alluvions, biologie des poissons, halieutique, climatologie, sans compter l'agronomie des plaines arrosées, l'histoire des villes mouillées, des rivalités entre riverains, plus les passerelles, barcarolles et Pont Mirabeau... En mélangeant, intégrant, fusionnant ces débris, en faisant de ces membres épars le corps vivant du courant, l'accès facile au savoir permettrait d'habiter le fleuve, enfin à plein et à niveau.

Mais comment fusionner les classements, fondre les frontières, réunir ensemble les pages déjà découpées au format, superposer les plans de l'université, unifier les amphis, empiler vingt départements, faire qu'autant d'experts de haut niveau, dont chacun pense détenir la définition exclusive de l'intelligence, s'entendent ? Comment transformer l'espace du campus, qui mine celui du camp retranché de l'armée romaine, tous deux quadrillés par des voies normales et distribués en cohortes ou jardins juxtaposés ?

Réponses : en écoutant le bruit de fond issu de la demande, du monde et des populations, en suivant les mouvements nouveaux des corps, en essayant d'expliciter l'avenir qu'impliquent les nouvelles technologies. Comment, de nouveau ?

 

Disparate contre classement

Autrement dit comment, ô paradoxe, dessiner des mouvements  browniens ? On peut au moins les favoriser par la sérendipité de Boucicaut.

Fondateur du Bon Marché, il classifia d'abord les marchandises à vendre, selon des étagères et des rayons rangés. Chaque paquet bien tranquille sur son siège, classifié, ordonné, comme des élèves en rangs ou comme des légionnaire romains dans leur camp retranché. Le terme "classe" signifie, à l'origine, cette armée en rang serré. Or comme, pour la première fois, son grand magasin, aussi universel pour le Bonheur des dames que l'université pour le plaisir d'apprendre, groupait tout ce dont un chaland pouvait rêver : alimentation, vêtements, cosmétiques, le succès n'attendit pas et Boucicaut dit fortune. Le roman qu'Emile Zola consacre à cet inventeur raconte sa déconvenue, les jours où le chiffre d'affaires, plafonnant, reste longuement constant.

Un matin, saisi d'une intuition subite, il bouleversa ce classement raisonnable, fit des allées de la boutique un labyrinthe et de ses rayons un chaos. Venue acheter des poireaux pour le bouillon et devant, par ce hasard vigoureusement programmé, traverser le département des soieries et dentelles, la dame grand-mère de Petite Poucette finit par acheter des parures en plus des légumes... Les ventes alors crevèrent le plafond. 

Le disparate a des vertus que la raison ne connaît pas. Pratique et rapide, l'ordre  peut emprisonner pourtant ; il  favorise le mouvement mais à terme le gèle. Indispensable à l'action, la check-list peut stériliser la découverte. Au contraire, de l'air pénètre dans le désordre, comme dans un appareil qui a du jeu. Or le jeu provoque l'invention. Entre le cou et la tête coupée apparut le même jeu.

Suivons Petite Poucette dans ses jeux, écoutons de Boucicaut l'intuition sérendipitine, que tous les magasins pratiquent depuis, bouleversons le classement des sciences, plaçons le département de physique à côté de la philosophie, la linguistique en face des mathématiques, la chimie avec l'écologie. Taillons même dans le détail, hachons ces contenus menu, pour que tel chercheur devant sa porte, en rencontre un autre, issu d'un ciel étrange et parlant une autre langue. Il voyagerait loin sans se déranger. Au castrum rationnel de l'armée romaine, écartelé  de perpendiculaires et séparé en cohortes carrées, succéderait alors une mosaïque aux pièces diverses, une sorte de kaléidoscope, l'art de la marqueterie, un pot-pourri.

Le Tiers-Instruit rêvait déjà d'universités à l'espace mêlé, tigré, nué, chiné, bigarré, constellé.... réel comme un paysage ! Alors  qu'il fallait courir loin pour aller vers l'autre, alors qu'on restait chez soi pour ne pas l'entendre, le voici sans arrêt dans les jambes, sans que l'on ait à bouger.

Ceux dont l'oeuvre défie tout classement et qui sèment à tout vent fécondent l'inventivité alors que les méthodes pseudo-rationnelles n'ont jamais servi de rien. Comment redessiner la page ? En oubliant l'ordre des raisons, ordre certes, mais sans raison. Il faut changer de raison. Le seul acte intellectuel authentique, c'est l'invention. Préférons donc le labytinthe des puces électroniques. Vive Boucicaut et ma grand-mère ! s'écrit Petite Poucette.

30 août 2013

Petite Poucette - Ecole 7

 

ecolier

Mobilité : conducteur et passager

L'espace centré ou focalisé de la classe ou de l'amphi peut aussi se dessiner comme le volume d'un véhicule : train, automobile, avion, où les passagers, assis en rangs dans le wagon, l'habitable ou le fuselage, se laissent conduire par celui qui les pilote vers le savoir. Voyez maintenant le corps du passager, avachi, ventre en l'air, regard vague et passif. Actif et attentif au contraire, le conducteur courbe le dos et tend les bras vers le volant.

Quand Petite Poucette use de l'ordinateur ou du portable, ils exigent tous deux le corps d'une conductrice en tension d'activité, non celui d'un passager en passivité de détente : demande et non offre. Elle courbe le dos et ne met pas le ventre en haut. Poussez cette petite personne dans une salle de cours : habitué à conduire, son corps ne supportera pas longtemsps le siège du passager passif ; elle s'active alors, privée de machine à conduire. Chahut. Mettez entre ses mains un ordinateur, elle retrouvera la gestuelle du corps-pilote.

Il n'y a plus que des conducteurs, que de la motricité, plus de spectateurs, l'espace du théâtre se remplit d'acteurs, mobiles ; plus de juges au prétoire, rien que des orateurs, actifs ; plus de prêtres au sanctuaire, le temple se remplit de prêcheurs ; plus de maîtres dans l'amphi, partout des professeurs... Et, nous aurons à le dire, plus de puissants dans l'arène politique, désormais occupée par les décidés.

Fin de l'ère du décideur.

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29 août 2013

Petite Poucette - Ecole 6

ecolier

Les petits Transis

Oreilles et museau plongés dans le porte-voix, le chien, assis, fasciné par l'écoute, ne bouge. Sages comme des images depuis l'âge tendre, nous commencions, enfants, une carrière longue de corps sur leur séant, immobiles, en silence et en rangs. Notre nom de jadis, le voici : Petits Transis. Les poches vides, nous obéissions, non seulement soumis aux maîtres, mais surtout au savoir, auquel les maîtres eux-mêmes, humblement, se soumettaient. Eux et nous le considérions comme souverain et magistral. Nul n'aurait osé rédiger un traité de l'obéissance volontaire au savoir. Certains se trouvaient même terrorisés par lui, empêchés ainsi d'apprendre. Pas sots, mais épouvantés. Il faut tenter de saisir ce paradoxe : pour ne pas comprendre le savoir et le refuser, alors qu'il se voulait reçu et compris, il fallait bien qu'il terrifiât.

En hautes majuscules, la philosophie parlait même du Savoir Absolu. Il exigeait donc du dos une inclinaison soumise, comme celle de nos ancêtres, courbés devant le pouvoir absolu des rois de droit divin. Jamais n'exista la démocratie du savoir. Non point que certains, détenant le savoir, détenaient le pouvoir, mais que le savoir lui-même exigeait des corps humiliés, y compris de ceux qui le détenaient. Le plus effacé des corps, le corps enseignant, donnait cours en faisant signe vers cet absolu absent, au total inaccessible. Fascinés, les corps ne bougeaient plus.

Déjà formaté par la page, l'espace des écoles, des collèges, des campus se reformatait par cette hiérarchie inscrite dans la tenue corporelle. Silence et prostration. La focalisation de tous vers l'estrade où le porte-voix requiert silence et immobilité reproduit dans la pédagogie celle du prétoire vers le juge, du théâtre vers la scène, de la cour royale vers le trône, de l'église vers l'autel, de l'habitation vers le foyer... de la multiplicité vers l'un. Sièges serrés, en travées, pour les corps immobilisés de ces institutions-cavernes. Voilà le tribunal qui condamne saint Denis. Fin de l'ère des acteurs ?

 

La libération des corps

Nouveauté. L'aise de l'accès donne à Petite Poucette, comme à tout le monde, des poches pleines de savoir sous les mouchoirs. Les corps peuvent sortir de la Caverne où l'attention, le silence et la courbure des dos les ligotaient aux chaises comme par des chaînes. Qu'on les force à s'y remettre, ils ne resteront plus en place sur les sièges. Chahut, dit-on.

Non. L'espace de l'amphi se dessinait jadis comme un champ de forces dont le centre orchestral de gravité se trouvait sur l'estrade, au point focal de la chaire, à la lettre un power point. Là se situait la densité lourde du savoir, quasi nulle à la périphérie. Désormais distribué partout, le savoir se répand dans un espace homogène, décenté, libre de mouvements. La salle d'autrefois est morte, même si encore on ne voit qu'elle, même si on ne sait construire qu'elle, même si la société du spectacle cherche à l'imposer encore.

Alors les corps se mobilisent, circulent, gesticulent, appellent, s'interpellent, échangent volontiers ce qu'ils ont trouvé sous leurs mouchoirs. Au silence le bavardage succède-t-il et le chahut à l'immobilité ? Non, jadis prisonniers, les Petits Poucets se libèrent des chaînes de la Caverne multimillénaire qui les attachaient, immobiles et silencieux, à leur place, bouche cousue, cul posé.

26 août 2013

Petite Poucette - Ecole 5

ecolier

Voix

Jusqu'à ce matin compris, un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l'écrit, une page-source. S'il invente, chose rare, il écrira demain une page recueil. Sa chaire faisait entendre ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait le silence. Il ne l'obtient plus.

Formée dès l'enfance, aux classes élémentaires et préparatoires, la vague de ce que l'on nomme le bavardage, levée en tsunami dans le secondaire, vient d'atteinde le supérieur où les amphis, débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l'histoire, d'un brouhaha permanent qui rend pénible toute écoute ou rend inaudible la vieille voix du livre. Voilà un phénomène assez général pour que l'on y prête attention. Petite Poucette ne lit ni ne désire ouïr l'écrit dit. Celui qu'une ancienne publicité dessinait comme un chien n'entend plus la voix de son maître. Réduits au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses soeurs et ses frères produisent en choeur, désormais, un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l'écriture.

Pourquoi bavarde-t-elle, parmi le brouhaha de ses bavards camarades ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l'a déjà. En entier. A disposition. Sous la main. Accessible par Web, Wikipédia, portable, par n'importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d'erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n'a plus besoin des porte-voix d'antan, sauf si l'un original et rare, invente.

Fin de l'ère du savoir.

 

L'offre et la demande

Ce chaos nouveau, primitif comme tout tohu-bohu, annonce un retournement, d'abord de la pédagogie, ensuite de la politique sous tous aspects. Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, semi-conductrice, celle-ci n'eut jamais le souci d'écouter l'avis ni les choix de la demande. Voici le savoir, stocké dans les pages des livres, ainsi parlait le porte-voix, le montrait, le lisait, le disait ; écoutez, lisez ensuite, si vous le voulez. En tout cas, silence.

L'offre disait deux fois : Tais-toi.

Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d'un autre savoir. Retournement ! Nous autres, enseignants parleurs, écoutons à notre tour la rumeur confuse et chaotique de cette demande bavarde, issue des enseignés que, jadis, nul ne consultait pour apprendre d'eux s'ils demandaient vraiment cette offre-là.

Pourquoi Petite Poucette s'intéresse-t-elle de moins en moins à ce que dit le porte-voix ? Parce que, devant l'offre croissante de savoir en nappe immense, partout et toujours accessible, une offre ponctuelle et singulière devient dérisoire. La question se posait cruellement lorsqu'il fallait se déplacer pour découvrir un savoir rare et secret. Désormais accessible, il surabonde, proche, y compris en volumes petits, que Petite Poucette porte dans sa poche, sous le mouchoir. La vague des accès aux savoirs monte aussi haut que celle du bavardage.

L'offre sans demande est morte ce matin. L'offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l'école, je vais dire que cela le devient de la politique.  Fin de l'ère des experts ?

20 août 2013

Petite Poucette -Ecole 4

ecolier

Petite Poucette médite 

Cogito : ma pensée se distingue du savoir, des processus de connaissance - mémoire, imagination, raison déductive, finesse et géométrie... externalisés, avec synapses et neurones, dans l'ordinateur. Mieux : je pense, l'invente si je me distancie ainsi de ce savoir et de cette connaissance, si je m'en écarte. Je me convertis à ce vide, à cet air impalpable, à cette âme, dont le mot traduit ce vent. Je pense encore plus doux que  ce doux objectivé ; j'invente si je parviens à ce vide. Ne me reconnaissez plus à ma tête, ni à son dense farci ni à son profil cognitif singulier, mais à son absence immatérielle , à la lumière transparente qui émane du découllement. A ce rien.

Si Montaigne avait expliqué les manières qu'avait une tête à se faire à merveille, il aurait, de ce fait, dessiné une case à remplir et la tête pleine serait revenue. A dessiner, aujourd'hui, cette tête vide, elle chuterait dehors encore dans l'ordinateur. Non, ne pas la couper pour la remplacer par une autre. N'éprouver aucune angoisse face au vide. Allons, du courage... Le savoir et ses formats, la connaissance et ses méthodes, détail infini et synthèses admirables, que mes anciens amassent comme des cuirasses dans les notes en bas de page et dans les bibliographies de livres et qu'ils m'accusent d'oublier, tout cela, sous le coup d'épée des tortionnaires de saint Denis, chute dans la boîte électronique. Etrange, quasi sauvage, l'ego se retire de tout cela, même de cela, vole dans le vide, dans sa nullité blanche et candide. L'intellence inventive se mesure selon la distance au savoir.

Le sujet de la pensée vient de changer. Les neurones activés dans le feu blanc du cou coupé diffèrent de ceux auxquels l'écriture et la lecture se référaient dans la tête des prédécesseurs, qui grésillent dans l'ordinateur.

D'où l'autonomie nouvelle des entendements, à laquelle correspondent des mouvement corporels sans constrainte et un brouhaha de voix.

18 août 2013

Petite Poucette - Ecole 3

ecolier

L'espace de la page

 Sous forme imprimée, l'écrit se projette aujourd'hui partout dans l'espace, jusqu'à l'envahir et à occulter le paysage. Affiches de publicité, panneaux routiers, rues et avenues fléchées, horaires dans les gares, scores dans les stades, traductions à l'Opéra, rouleaux des prophètes dans le synagogues, évangéliaires dans les églises, bibliothèques sur les campus, tableaux noirs dans les salles de classe, PowerPoint dans les amphis, revues et journaux... : la page nous domine et nous conduit. Et l'écran la reproduit.

Cadastre rural, plans des villes ou d'urbansime, bleu des architectes, projets de constructions, dessins des salles publiques et des chambres intimes... miment, par leurs quadrillages doux et paginés, le pagus de nos ancêtres, carrés ensemencés de luzerne ou lopins de terre labourés, sur la dureté desquels le paysan laissait la trace du soc ; le sillon, déjà écrivait sa ligne sur cet espace découpé. Voilà l'unité spatiale de perception, d'action, de pensée, de projet, voilà le multimillénaire format, presque aussi prégnant à nous autres hommes, au moins les Occidentaux, qu'aux abeilles l'hexagone.

 

Nouvelles technologies

Ce format de page nous domine tant et tant à notre insu, que les nouvelles technologies n'en sont pas encore sorties. L'écran de l'ordinateur - qui lui-même s'ouvre comme un livre - le mime, et Petite Poucette écrit encore sur lui, de ses dix doigts ou, sur le portable, des deux pouces. Le travail achevé, elle s'empresse d'imprimer. Les innovateurs de toute farine cherchent le nouveau livre électronique, alors que l'électronique ne s'est pas encore délivrée du livre, bien qu'elle implique tout autre chose que le livre, tout autre chose que le format préhistorique de la page. Cette chose reste à découvrir. Petite Poucette nous y aide.

 

Je me souviens de l'étonnement qui me prit, voici quelques années, sur le campus de Stanford où j'enseigne depuis trente ans, à voir s'élever, au voisinage de l'ancien Quadrangle et financées par les milliardaires de la Silicon Valley voisine, des tours destinées à l'informatique à peu près identiques, au fer, au béton et aux vitrages près, aux autres bâtiments de brique où l'on dispense, depuis un siècle, l'enseignement de l'ingénierie mécanique ou de l'histoire médiévale. Même disposition au sol, mêmes salles et couloirs : toujours le format inspiré de la page. Comme si la révolution récente, aussi puissante au moins que celles de l'imprimerie et de l'écriture, ne changeait rien au savoir, à la pédagogie, ni à l'espace universitaire lui-même, inventé jadis et pour le livre.

 

Non. Les nouvelles technologies obligent à sortir du format spatial impliqué par le livre et la page. Comment ?.

 

 

Une histoire brève


D'abord : les outils usuels externalisèrent nos forces , dures ; sortis du corps, les muscles, os et articulations appareillèrent vers les machines simples, leviers et palans, qui en mimaient le fonctionnement ; notre température haute, source de notre énergie, émanée de l'orgnisme, appareilla ensuite vers les machines motrices. Les nouvelles technologies externalisent enfin les messages et opérations qui circulent dans le système neuronal, information et codes, doix ; la cognition, en partie, appareille vers ce nouvel outil.

Que reste-t-il, alors, au dessus des cous coupés du saint Denis de Paris et des fils et filles, aujourd'hui ?

16 août 2013

Petite Poucelle - Ecole 2

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Le dur et le doux

 

Comment ce changement humain, décisif, a-t-il pu se produire ? Pratiques, concrets, nous pensons irrésistiblement que les révolutions se font autour des choses dures : nous importent les outils, marteaux et faucilles. Nous donnons même leur nom à quelques ères de l'histoire : révolution industrielle récente, âges du bronze et du fer, pierre polie ou taillée. Plus ou moins aveugles et sourds, nous accordons moins d'attention aux signes, doux, qu'à ces machines tangibles, dures et pratiques.

Toutefois, l'invention de l'écriture et celle, plus tardive, de l'imprimerie bouleversèrent les cultures et les collectifs plus que les outils. Le dur montre son efficacité sur les choses du monde ; le doux montre la sienne sur les institutions des hommes. Les techniques conduisent ou supposent les sciences dures ; les technologies supposent et conduisent les sciences humaines, assemblées publiques, politique et société. Sans l'écriture, nous serions-nous réunis dans des villes, eussions-nous stipulé un droit, fondé un Etat, conçu le monothéisme et l'histoire, inventé les sciences exactes, institué la paideia... ? Aurions-nous assuré leur continuité ? Sans l'imprimerie, aurions-nous, à la Renaissance, bien nommée, changé l'ensemble de ces institutions et de ces assemblées ? Le doux organise et fédère ceux qui utilisent le dur.

Sans toujours nous en douter, nous vivons ensemble, aujourd'hui, comme enfants du livre et petits-fils de l'écriture.

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