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15 août 2013

Petite Poucette - Ecole 1

ecolier

 

La tête de Petite Poucette

 

Dans sa Légende dorée, Jacques de Voragine raconte qu'au siècle des persécutions édictées par l'empereur Domitien advint à Lutèce un miracle. L'armée romaine y arrête Denis, élu évêque par les premiers chrétiens de Paris. Incarcéré, puis torturé dans l'Ile de la Cité, le voilà condamné à être décapité au sommet d'une butte qui se nommera Montmartre.

Fainéante, la soldatesque renonce à monter si haut et exécute la victime à mi-chemin. La tête de l'évêque roule à terre. Horreur ! Décollé, Denis se relève, ramasse sa tête et, la tenant dans ses mains, continue à grimper la pente. Miracle ! Terrifiée, la légion fuit. L'auteur ajoute que Denis fit une pause pour laver son chef à une source et qu'il poursuivit sa route jusqu'à l'actuelle Saint-Denis. Le voilà canonisé.

Petite Poucette ouvre son ornidateur. Si elle ne se souvient pas de cette légende, elle considère toutefois, devant elle et dans ses mains, sa tête elle-même, bien pleine en raison de la réserve énorme d'informations, mais aussi bien faite, puisque des moteurs de recherche y activent, à l'envi, textes et images, et que, mieux encore, dix logiciels peuvent y traiter d'innombrables données, plus vite qu'elle ne le pourrait. Elle tient là, hors d'elle, sa cognition jadis interne, comme Saint Denis tint son chef hors du cou. Imagine-t-on Petite Poucette décapitée ? Miracle ?

Récemment, nous devînmes tous des saints Denis, comme elle. De notre tête, osseuse et neuronale, notre tête intelligente sortit. Entre nos mains, la boîte-ordinateur contient et fait fonctionner, en effet, ce que nous appelions jadis nos "facultés" : une mémoire, plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d'icônes par millions ; une raison aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n'eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boîte cognitive objectivée.

Passé la décollation, que reste-t-il sur nos épaules ?  L'intuition novatrice et vivace. Tombé dans la boîte, l'apprentissage nous laisse la joie incandescente d'inventer. Feu : sommes-nous condamnés à devenir intelligents ?

Quand apparut l'imprimerie, Montaigne préféra, je l'ai dit, une tête bien faite à un savoir accumulé, puisque ce cumul, déjà objectivé, gisait dans le livre, sur les étagères de sa librairie ; avant Guemberg, il fallait savoir par coeur Thucydide et Tacite si l'on pratiquait l'histoire, Aristote et les mécaniciens grecs si l'on s'interessait à la physique, Démothène et Quintilien si l'on voulait exceller dans l'art oratoire... donc en avoir plein la tête. Economie : se souvenir de la place du volume sur le rayon de librairie coûte moins cher en mémoire que retenir son contenu. Nouvelle économie, radicale celle-là : nul n'a même plus besoin de retenir la place, un moteur de recherche s'en charge.

Désormais, la tête ététée de Petite Poucette diffère des vieilles, mieux faites que pleines. N'ayant plus à travailler dur pour apprendre le savoir, puisque le voici, jeté là, devant elle, objectif, collecté, collectif, connecté, accessible à loisir, dix fois déjà revu et contrôlé, elle peut se retourner vers le moignon d'absence qui surplombe son cou coupé. Là passent de l'air, du vent, mieux, cette lumière qu'y peignit Bonnat, le peintre pompier quand il dessina le miracle de Saint Denis sur les parois du Panthéon, à Paris. Là réside le nouveau génie, l'intelligence inventive, une authentique subjectivité cognitive ; l'originalité de la fille se réfugie dans ce vide translucide, sous cette brise jolie. Connaisance au coût quasi nul, difficile pourtant à saisir.

Petite Poucette célèbre-t-elle la fin de l'ère du savoir ?

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